Françoise Barré-Sinoussi : « La majorité des jeunes considère que le sida c’est du passé »


Montpellier a rejoint ce mardi le réseau des villes internationales contre le sida qui place comme objectif zéro contamination à l’horizon 2030. Un pas important dans le cadre de son programme ambitieux Vers Montpellier ville sans sida présenté en novembre dernier.

Un réseau de 250 villes

« Montpellier est une ville où l’engagement contre le Sida est historique », a salué Bertrand Audoin, vice-président de l’International Association of Providers of AIDS Care, « Aujourd’hui, encore plus qu’hier, il y a un réseau d’associations, de chercheurs et de soignants important ». Montpellier rejoint ainsi 250 villes signataires avec pour intérêt la mutualisation des moyens et des actions pour répondre aux objectifs de la déclaration de Paris : l’élimination de l’épidémie du sida d’ici à 2030 ainsi que la lutte contre les inégalités d’accès aux services sanitaires et sociaux de base, à la justice sociale et aux opportunités économiques.

Alain Mackinson, instigateur du programme Vers Montpellier ville sans sida, ne cache pas son enthousiasme : « Ce 2 avril est un tournant historique ». Rappelant que rien n’était encore gagné avec 6 400 nouveaux cas en 2017, il souligne « l’intérêt du programme qui s’inscrit dans une réalité locale ». Même tonalité chez Caroline Navarre, déléguée à la prévention santé et aux droits des femmes : « Nous sommes à un tournant décisif de la lutte contre le sida. On a tout pour réussir et pourtant ce chiffre ne baisse pas ». Pour accompagner cette signature, Montpellier engage une campagne de communication volontariste pour informer et sensibiliser tous les Montpelliérains.

Une nécessité comme le souligne Françoise Barré-Sinoussi. Prix Nobel de médecine en 2008 avec le professeur Luc Montagnier pour la découverte du virus du sida, elle a accepté d’être la marraine de cette adhésion au réseau des villes internationales contre le sida. À quelques jours de la 25e édition du Sidaction, association qu’elle préside depuis 2017, Françoise Barré-Sinoussi alerte et envoie un message notamment à la jeunesse : le combat n’est pas fini.

Le rapport et la vision qu’ont les jeunes de la maladie vous inquiètent-ils ?

Je suis inquiète de voir que la grande majorité des jeunes de 15-25 ans considère que le VIH c’est du passé. Il y a un traitement dont un quart pense qu’il guérit de l’infection du VIH alors que l’on a jamais dit cela. Il y a près d’un quart qui pense ne pas être bien informé aujourd’hui, et plus globalement sur la santé sexuelle. Ce sont des chiffres un peu inquiétants. Certains disent qu’entre le diabète et l’infection VIH, ils préfèreraient l’infection VIH puisqu’ils font la comparaison avec le traitement à vie. Je leur dis que le diabète est une maladie chronique mais il ne se transmet pas. La situation aujourd’hui est extrêmement préoccupante quand on parle aux jeunes. J’étais à une soirée-débat il y a trois semaines et je leur demandé s’ils s’étaient faits dépister. Ils m’ont répondu non. Alors je leur ai demandé s’ils n’avaient pas de relations sexuelles. Alors ils m’ont dit « Si bien sûr mais on a confiance en nos partenaires ». Ça cela fait très peur. C’est justement dans ces situations où les jeunes ont confiance qu’ils se font infecter. Et le partenaire ne sait peut-être même pas qu’il est porteur du virus donc ce n’est pas forcément volontaire. Il y a quand même 30 % des personnes qui découvrent leur séropositivité alors qu’ils sont à un stade avancé de la maladie. Tout ça fait mal au ventre, au corps médical, aux chercheurs comme moi. On se dit que cela n’est pas possible. On a développé tout ces outils qui sont à disposition dans un pays comme la France y compris le traitement préexposition. Et malgré ça on a encore plus de 6 400 infections par an. Cela ne devrait pas exister aujourd’hui avec tout ce que l’on a dans les mains.

Les parents ont un rôle important à jouer dans l’information à donner à leurs enfants ?

Bien sûr. Tout le monde est concerné. Bien évidemment les parents ont leur rôle à jouer. Mais à condition que je n’entende pas comme autrefois : « De toute façon mes enfants ne sont pas concernés ». Tout le monde peut être concerné par cette infection transmise par relation sexuelle.

« La meilleure information c’est simplement de dire la vérité, de dire les choses telles qu’elles sont. Et ça le grand public est prêt à l’entendre »

Certains médecins généralistes demandent plus d’information sur les traitements.

C’est bien mais je voudrais que cela se généralise, si je puis dire. J’ai l’impression que partout sur l’ensemble du territoire français, il y a un pourcentage de médecins généralistes qui nécessite d’actualiser leurs connaissances. Il peut y avoir parfois un discours un peu discordant entre médecins et ce n’est pas bon pour le grand public. C’est le cas avec la PrEP (traitement préexposition) sur laquelle certains disent que cela augmente les MST. C’est faux mais cette controverse dans le milieu médical n’est pas bonne. Je compare cela avec la vaccination qui est aussi de la prévention. Finalement, le grand public ne sait plus à qui se fier. Voilà pourquoi je pense qu’il faut absolument qu’il y ait une meilleure information et une meilleure coordination dans la communication passée au grand public. La meilleure information c’est simplement de dire la vérité, de dire les choses telles qu’elles sont. Et ça le grand public est prêt à l’entendre.

Quel est l’intérêt pour Montpellier d’intégrer un réseau de villes internationales ?

L’intérêt pour Montpellier c’est d’arriver à l’objectif Montpellier sans Sida, Montpellier sans infection VIH d’ici 2020-2030. Ce serait un beau résultat.

Quel serait le meilleur moyen d’y arriver ?

C’est le tous ensemble. On se relève les manches tous ensemble de façon à passer des informations simples, claires, vraies, actualisées à l’ensemble du grand public. Et de cibler par rapport aux jeunes la lutte contre la stigmatisation et la discrimination. Si beaucoup aujourd’hui n’osent pas encore aller se faire dépister, c’est qu’ils ont peur du regard des autres. Il n’y a pas d’autres moyens que de lutter contre cette stigmatisation et discrimination vis à vis de cette infection VIH. Je compte beaucoup sur les jeunes. Montpellier est une ville jeune alors cela va marcher.

« Mais le côté négatif, c’est que maintenant tout le monde se dit : « Puisqu’il y a un traitement, on peut vivre avec alors ». »

Contrairement aux années 90, les messages ont beaucoup de mal à passer aujourd’hui. Pourquoi ?

Parce qu’aujourd’hui il y a un traitement et que les personnes vivent avec le VIH. Ce qui est merveilleux par rapport aux années 90 où c’était la tragédie. C’était dramatique. On voyait des personnes jeunes mourir et on en a tous connus dans nos entourages. Nous ne sommes plus dans cette situation. Le gros changement c’est celui-là. Les personnes aujourd’hui, lorsqu’elles sont traitées très vite après l’exposition au virus, ont une espérance de vie identique à des personnes non infectées. Ça c’est le côté positif. Mais le côté négatif, c’est que maintenant tout le monde se dit : « Puisqu’il y a un traitement, on peut vivre avec alors ». Cela rejoint ce que je disais sur le diabète.  On entend quand même : « Qui ne prend pas un cachet tous les jours ? ». Mais tout ce qui est autour de cette infection VIH, les gens ne le voient pas. Il faut absolument organiser des débats, des rencontres avec des jeunes qui vivent avec le VIH et qui sont sous traitement pour qu’ils partagent avec d’autres leur propre expérience. Bien sûr, ils vont bien d’un point de vue santé, mais leur vie n’est pas si simple que cela au jour le jour.

Vous êtes la présidente du Sidaction. Un mot sur l’importance du don, toujours, 25 ans après.

Pour Sidaction, c’est essentiel bien évidemment. La campagne de cette année c’est : En 2019, n’oublions pas que le virus du Sida est toujours là. N’oublions pas de donner. Sidaction est la seule organisation en France, et bien au-delà d’ailleurs, qui prend en charge et soutien la recherche, le milieu associatif, et aussi des actions internationales dans des pays à ressources limitées. Donc c’est la seule association qui intègre toutes les composantes comme vous allez le faire à Montpellier pour arriver à l’objectif de Montpellier sans infection VIH.

Le 02/04/2019 à 18:00, par Cédric Nithard.