Interview : une heure avec Kévin Mayer

22/06/2019 à 09:34

Son nom est devenu synonyme de performance et de réussite. Recordman mondial de sa discipline, médaille d’argent olympique (Rio 2016), champion du monde (Londres 2017)… À seulement 27 ans, le décathlon lui appartient. Grand favori pour les prochains championnats du monde – rendez-vous à Doha, du 28 septembre au 6 octobre – Kevin Mayer ne ménage pas sa peine afin de se maintenir au sommet de cette discipline millénaire qu’il a contribué à porter sous les feux de la rampe.

Entre deux sessions d’entraînement, il a accepté de se confier à Métropolitain. Rendez-vous est donc pris au stade Philippidès pour une heure d’échanges à bâtons rompus. Rencontre avec un jeune homme pressé.

Kevin, la moisson de médailles de ces dernières années et ton record du monde de l’an dernier
t’ont propulsé au rang de star parmi les athlètes français. Est-ce que tu ressens la pression sur tes épaules ?
La pression fait partie du sport. Ça peut même être un moteur. Je sais que je suis désormais très attendu sur les championnats et les compétitions auxquels je participe, surtout depuis le record du monde. Mais je ne me plains pas car j’ai toujours cherché la performance. C’est dans la recherche de résultat que je prends le plus de plaisir. Après, la pression, je dirais que je la gère de mieux en mieux, même si on ne m’enlèvera pas mon côté impulsif.

Patrick Montel ne dira pas le contraire.
En même temps, je n’allais pas le laisser traîner dans la boue ce sport pour lequel je fais tant de sacrifices. Comment peut-on, quand on est comme lui, un commentateur sportif français de référence en athlétisme, balancer avec une telle légèreté que “tout le monde se dope“ et “qu’il n’y a pas de record du monde sans dopage“ ? Beaucoup d’athlètes ont ressenti ça comme une insulte.
Et puis, avec ses propos, il me visait personnellement. Quand tu t’entraines comme un fou pour rester au top sans jamais céder à la facilité, je t’assure que ça fait mal. À un moment, il faut prendre conscience du poids des mots et des conséquences qu’ils peuvent avoir. Sa déclaration m’a mis hors de moi. Et comme il a balancé ça en public, il fallait aussi que je réponde en public.

As-tu reçu le soutien d’autres athlètes ?
Renaud Lavillenie, Rénelle Lamote… Plusieurs athlètes m’ont écrit, bien sûr.

Depuis, Patrick Montel s’est excusé publiquement… Affaire classée ?
Il a reconnu ses torts, je lui ai dit ce que j’avais à dire, affaire classée.

Revenons sur le terrain sportif. Que retiens-tu de tes exploits ? Le record du monde ou tes titres de vice-champion d’Europe et de médaillé d’argent olympique ?
Je retiens tout. Les meilleures performances comme les moins bonnes. Ce qui compte, c’est d’avancer. Bien sûr que je vise le sommet du podium. Mais pour Rio, par exemple, j’avais optimisé mon niveau pour être vice-champion et j’avais explosé mes records. Malgré tout, je ne m’attendais pas à arriver à ce niveau-là. L’apprentissage du décathlon demande du temps.
Championnat après championnat, je gagne en maturité et en confiance en moi. Ce sont des atouts essentiels pour gagner.

Être n°1 aux prochains championnats et aux JO, c’est une idée fixe ?
C’est un objectif, pas une idée fixe. Même si c’est, bien sûr, une explosion de joie quand on est premier. Pour être tout à fait honnête, ce que j’aime le plus, c’est l’entraînement, la progression, la performance sportive. Bien sûr, en cumulant dix épreuves au lieu d’une seule, je ne serai jamais aussi fort qu’un spécialiste… Mais pour faire parler de soi dans une discipline comme le décathlon, il faut fournir dix fois plus de travail, alors autant aimer ça.

Prochain challenge, Doha et les championnats du monde d’athlétisme.
Yes ! Je m’entraîne énormément en ce moment. Je suis d’ailleurs très fatigué, mais satisfait du travail fourni. J’avoue que j’ai hâte que les sessions baissent en intensité pour sentir la forme remonter un peu.

Tu as as droit à une petite trêve pour décompresser quelques jours avant la compétition ?
Il n’y a pas de décompression. Au contraire, la pression monte d’un cran à mesure qu’on approche de l’échéance. On réduit juste la durée des entraînements. Disons qu’on axe plus sur la qualité que sur la quantité.

Au-delà des prochains championnats, tu penses déjà à Tokyo, Paris, Los Angeles ? En d’autres termes, les JO c’est loin ou c’est demain ?
En tant que décathlonien, je me sens proche des Jeux olympiques car le sprint, le lancer de javelot,
de disque… Tous ces sports que je pratique à haut-niveau étaient déjà présents aux premières olympiades antiques. Pour les décathloniens, les JO, c’est quelque chose de très particulier. Pour moi, en tout cas, grimper sur la plus haute marche du podium et entendre résonner la Marseillaise, ça serait une consécration.

Surtout à Paris…
Avant ça, je ne dis pas non à Tokyo ! (rires)

Une image des JO qui t’a particulièrement marqué ?
Romain Barras. Ce mec m’a vraiment motivé pour faire du décathlon. Je me souviens des images de lui en pleurs à Pékin, en 2008. Il avait réussi à finir cinquième. J’ai eu les frissons et je me suis dit que oui, le décathlon était vraiment un sport à part.

Quels sont les athlètes qui t’inspirent ?
Il y en a tellement. Des Martin Fourcade, des Ashton Eaton, des Roger Federer, des Stefan Holm…
Je prends beaucoup exemple sur les athlètes que j’admire. J’observe et j’écoute aussi énormément les bons conseils qu’on peut me donner car le sport-system forge beaucoup d’égos surdimensionnés et on ne peut progresser qu’en s’entourant bien. 

Il y en a même qui disent que passé un certain stade, c’est ce qui compte le plus.
Un bon staff, c’est très important. Sur ce terrain-là, je n’ai pas à me plaindre.

Tu travailles même en famille avec ton frère.
Exact. Ça fait des années qu’il me conseillait alors il a bien fallu un jour que je l’embauche…(sourire) Il gère ma com, mon agenda, plein de trucs. C’est mon grand frère dans la vie, comme au travail, je ne vois pas quel meilleur titre je pourrais lui donner. J’apprécie beaucoup travailler avec lui. On se parle de frère à frère, en toute franchise.

En parlant de franchise : ton point fort et ton plus gros point faible ?
J’ai beaucoup de points forts et de points faibles. Des fois, ça m’a fait reculer dans ma carrière, des fois ça m’a fait avancer plus vite. Je suis déterminé, ça c’est un point fort. Mais je suis trop dans l’émotion, dans l’impulsivité, ça peut être un point faible… Ceci dit, dans le sport, c’est quand même une bonne chose au final. Je pense qu’entre mes points forts et mes points faibles, je me complète.

Il n’y a pas des jours où tu te dis « entraînement, régime, rigueur… J’en ai marre » ?
Non. J’aime ce sport viscéralement. Il me permet d’être en bonne santé, bien dans ma tête, bien dans mon corps. C’est un mode de vie tout entier.

Parlons-en de ta vie hors stade d’athlétisme, justement.
Ok.

Ton avis sur Montpellier ?
J’adore. Je m’y sens super bien. J’ai découvert la ville il y a plus de dix ans dans le cadre d’un stage. J’étais venu avec mon entraîneur. J’ai tout de suite bien accroché. Il fait presque tout le temps bon, il fait chaud, j’ai tous les équipements qu’il me faut au CREPS, les gens sont détendus, je me suis fait un vrai groupe d’amis… L’atmosphère est vraiment cool. Je porte même désormais les couleurs de l’Occitanie… Je ne me verrais plus habiter ailleurs.

Tu te fais même construire une maison en ce moment.
Oui. J’en ai assez de vivre en appartement. J’ai besoin de grand air, d’espace, d’un jardin avec une petite piste pour mes entrainements…

D’une pièce pour ranger tes trophées…
J’y ai pensé, mais finalement avec ma copine, on a préféré faire un garde-manger ! Je garde mes médailles dans un tiroir, je suis pas du genre à les exposer au mur ou à me balader avec en ville…

Tu sors où, en ville ?
Je dois avouer que je ne sors presque pas. Je passe la majeure partie de mon temps en entraînement ou en récupération. Le “chill“, pour un athlète, c’est essentiel. Alors je me détends chez moi, je lis des bouquins, des mangas, je me forme sur Photoshop ou au montage vidéo…
Ça m’a toujours attiré. Je préfère d’ailleurs être derrière l’objectif que devant. La vie est mal faite. N’est-ce pas ? (sourire)

Jamais de sorties ni de virées à la plage, donc ?
Si bien sûr. J’aime la plage, jouer au beach-volley… Après, je suis plutôt branché rivière. Il y a des coins, au Nord de Montpellier, juste magnifiques.

Tu es très actif sur les réseaux sociaux. Tu postes énormément, tu réagis à l’actu… Tu essaies de
te rendre accessible ?
J’aime bien, pour le côté photo. Après, ça me saoule un peu de me filmer, mais je le fais aussi car en partageant ma vie en ligne, je fais preuve de transparence et je montre que les records, ça s’obtient par un travail constant. C’est important de le rappeler, notamment quand on est confronté à des polémiques comme celle que l’on évoquait tout à l’heure. Sinon, mea culpa, je ne réponds quasiment à aucun message car je n’en ai tout simplement pas le temps. Quand tu en reçois plus de 1000 par semaine, ça devient un job à part entière. J’espère que mes abonnés sauront m’excuser…

Nike, Vogue… Tu as conscience d’être devenu une icône en France ?
La notion d’exemple est très présente dans le sport. Moi-même je prends exemple sur d’autres. Mais j’essaie surtout d’être réglo avec moi-même et d’utiliser mon pouvoir de parole avec sagesse.

Sur des sujets qui me tiennent vraiment à cœur, comme l’écologie, par exemple. Je suis très pessimiste concernant l’avenir de notre planète, le réchauffement climatique, alors j’essaie de faire ce qui est en mon pouvoir : choisir des bons produits pour remplir mon frigo, consommer raisonnablement, privilégier des énergies propres… J’ai d’ailleurs acheté cette trottinette électrique pour me déplacer de façon plus écolo. Mais tout ça, ce ne sont que des actes de conscience, ça ne pèse rien devant les dégâts générés par les gros industriels sans scrupule…

Le grand malheur de l’homme, c’est de ne voir que son profit à court terme. Ce qu’il pourrait obtenir dans 20 ans ? Il s’en fout. C’est flippant… Ça ne sert à rien de réagir, il faut agir. Ceci dit, j’ai l’impression que les nouvelles générations sont beaucoup plus conscientes de ça.

Kévin Mayer

Kévin Mayer (©Mario Sinistaj)

Qu’est-ce qui te rend heureux ?
Aider les autres. À ce sujet, il y a un homme qui m’inspire beaucoup, c’est Alexandre Mars, cet entrepreneur philanthrope qui s’est dit qu’il allait accumuler le plus d’argent possible pour ensuite aider son prochain. Je suis engagé dans son association, EPIC, qui lutte contre les inégalités. Je mets même chaque année aux enchères une demi-journée d’entrainement pour lever des fonds. Je suis en train de lire son bouquin*. La conclusion est simple : l’argent ne fait pas le bonheur. Non, ce qui rend vraiment heureux, c’est d’aider son prochain.

On va conclure cette interview sur une de tes récentes déclarations. Tu disais que le sport ne peut exister que par la performance. Que veux-tu dire par là ?
C’est simple. C’est par les résultats et la performance qu’on peut attirer l’attention. Attention qui te donne ensuite un pouvoir de parole pour passer des messages, valoriser un sport, transmettre des valeurs. Moi, je fais du décathlon. Dix épreuves qui se passent sur deux jours…  Forcément, ça demande plus que 90 minutes de concentration devant sa télé à regarder le foot. On n’arrivera jamais au même niveau, mais quand je vois le bond médiatique qu’a fait l’athlétisme avec mes records, je suis convaincu que la performance, c’est ça qu’il faut chercher.

* La révolution du partage (Flammarion)

Le recordman du monde du décathlon a officialisé en ce début d’année sa mutation vers le club du Montpellier athletic méditerranée métropole

PALMARÈS

2018
Recordman du Monde
Décathlon, Talence – 9126 points

2018
Champion du Monde
Décathlon, Londres – 8768 points

2017
Champion du Monde
Heptathlon, Birmingham – 6348 points

2017
Champion et recordman d’Europe
Heptathlon Belgrade –

2016
Vice-champion olympique
Décathlon, Rio de Janeiro – 8834 points


Xavier Paccagnella