Si le monde taurin s’est enflammé après la tribune demandant la réforme de certaines pratiques de la bouvine, il en est de même pour les politiques locaux dont plusieurs sont directement impliqués au sein de la Métropole de Montpellier. Les passes d’armes sont depuis nombreuses entre défenseurs des traditions et avocats du bien-être animal. quitte à en faire un débat opposant urbains et ruraux. Entre mauvaise foi, exagération et jeu politique. Un vrai cirque !
Le débat sur la corrida à peine éteint, une cinquantaine d’élus et une douzaine d’associations ont décidé d’allumer celui sur la bouvine à travers une tribune appelant à une réforme de certaines pratiques (escoussure, ferrade et stérilisation à vif). Parmi les signataires*, une proportion majoritaire d’élus montpelliérains comme Eddine Ariztegui du Parti Animaliste et les Écologistes Stéphane Jouault, Mustapha Laoukiri, Coralie Mantion, Marie Massart, Fatma Nakib, Manu Reynaud, Catherine Ribot, Radia Tikouk et François Vasquez, tous membres de l’exécutif municipal ou métropolitain.
À leurs côtés des élus de Clermont-Ferrand, Chambéry, Grenoble, Strasbourg, Paris… et pour l’Hérault Thierry Antoine, conseiller municipal EELV à Béziers ainsi que deux conseillers départementaux Sébastien Cristol (EELV) et Jacqueline Markovic (ex-EELV), viennent compléter la liste. Des élus qui semblent aujourd’hui localement isolés.
Il est en effet facile de comprendre que la tribune est mal passée dans plusieurs communes de la Métropole de Montpellier dont l’identité est fortement liée à la bouvine. Un sentiment renforcé par le manque de concertation préalable des défenseurs de la cause animale sur leur propre territoire. Les maires Laurent Jaoul (Saint-Brès), Jean-Luc Meissonnier (Baillargues), Arnaud Moynier (Beaulieu), Jackie Galabrun-Boulbes (Saint-Drézéry), Jean-Pierre Rico (Pérols), Yvon Pellet (Saint-Geniès des Mourgues), Claudine Vassas-Mejri (Castries), Guy Lauret (Vendargues) et Eliane Lloret (Sussargues) ont ainsi marqué leur opposition avec plus ou moins de virulence.
À lire aussi
Une conférence de presse la semaine dernière a été l’occasion d’un premier échange musclé entre les deux premiers et Coralie Mantion. Cette dernière, vice-présidente de la Métropole de Montpellier en charge de réviser un attendu important PLUI-Climat, a été mise à mal par ces élus qui ont ensuite demandé sa démission à Michaël Delafosse ce mardi lors du bureau des maires et vice-présidents de la Métropole.
Une passe d’armes qui s’est poursuivie par interviews interposées. Dans Midi Libre, Jean-Luc Meissonnier n’a pas été tendre. « Coralie Mantion est censée défendre le PLUI. Si jamais elle vient faire des réunions publiques sur le sujet dans chaque commune en mars, elle va avoir des manifestations. Pas sur le PLUI mais pour lui demander des comptes. Cela va être compromettant pour elle. Sa position est très délicate », juge-t-il avant de se montrer plus cinglant : « Coralie Mantion n’est pas une méchante personne mais elle ne connait pas les sujets ni les conséquences de son positionnement par rapport à la ruralité. Il faut faire attention parce que les gens s’émeuvent d’une discrimination du milieu rural. On passe pour des gueux par rapport à des pseudo-intellectuels qui font du vélo à Montpellier et qui emmerdent tout le monde ».
Condamnant les propos du maire de Baillargues, EELV Montpellier souligne : « Le débat démocratique ne peut exclure le respect auquel toute personne à droit et à plus forte raison, entre élu.e.s qui par voie de conséquence devrait faire preuve d’exemplarité en la matière. Qu’il y ait des différences d’appréciation politiques sur les dossiers, fait également partie du débat démocratique et ne sauraient servir de support pour y inclure des éléments de dénigrement et de menaces ». Dans les colonnes de Midi Libre, Coralie Mantion regrette « une instrumentalisation du débat par certains qui font du green-bashing. Mes propos sont déformés, c’est aberrant. Le parti écologiste se bat pour préserver la biodiversité. C’est un contresens. On déforme le contenu de la tribune. Ce n’est pas l’abolition de la bouvine mais l’évolution des pratiques. Nos idées écologistes font leur chemin et cela fait peur », défend celle qui est envoyée ou monte régulièrement au front chez les écolos montpelliérains.
Après avoir minimisé le caractère incendiaire du sujet, Michaël Delafosse fait désormais face à une grogne. S’il a toujours laissé la liberté des prises de position au sein des différents courants de sa majorité, comme lors des législatives durant lesquelles à part les membres PS les autres ont milité pour la NUPES, cette tribune venue du Parti Animaliste et d’EELV trouble le climat au sein de la Métropole. Il n’entend cependant pas remettre en question sa gouvernance en sanctionnant les élus signataires et espère que chaque protagoniste fasse la part des choses entre la vie de la collectivité et ce débat sur la bouvine. Autant dire un voeu pieux…
Ayant certainement voulu rester hors de la mêlée, Michaël Delafosse est désormais contraint d’y rentrer. » Je suis très respectueux des traditions. Il y a une tradition qui est la bouvine avec des manadiers qui structurent et sont les architectes du paysage de l’est de la métropole. La collectivité soutient d’ailleurs le Trophée Taurin et je me suis rendu à une course camarguaise. C’est un moment de partage et je suis très respectueux de cela. Les manadiers font des efforts sur le bien-être animal, interrogent leurs pratiques et cela les honorent », a-t-il clarifié récemment en s’exprimant contre la tribune. Pas suffisant pour éteindre le feu politique. Surtout quand la NUPES traîne en embuscade.
Les premiers coups sont d’abord venus du côté des Verts, chez qui la tribune n’a également pas convaincu certains militants, opposés en interne au groupe écolo de la majorité municipale, comme Julia Mignacca. L’ancienne candidate EELV/NUPES sur la 3e circonscription de l’Hérault a exprimé son ras-le-bol : « Je suis las de voir notre territoire pointé du doigt. Pour les habitants de notre circonscription, c’est toujours la même stigmatisation. Pour nous, militantes et militants, c’est encore un fossé qui se creuse inutilement sur le terrain ».
Défendant la bouvine, elle estime que « les pratiques évoluent chaque jour dans la ligne de cette prise de conscience globale concernant le bien-être animal. Nul besoin de textes moralisateurs venus « d’en haut » au risque de gâcher toutes ces belles avancées. C’est un travail concerté au plus près des différents acteurs qu’il faut enclencher comme nous avons pu le faire durant la campagne des législatives ».
L’occasion de cibler ces « camarades » écolos montpelliérains et par ricochet Michaël Delafosse. « Localement, la reprise de cette démarche par quelques élus est osée et d’autant plus malvenue qu’ils siègent auprès d’un maire-président ouvertement défavorable à la récente proposition anti-corrida du député NUPES Aymeric Caron. Leur travail ne serait-il pas de convaincre leur propre majorité sur la nécessité d’en finir avec une pratique de loisir criminelle plutôt que de cibler les manadiers ? », estime-t-elle même si aucune corrida n’est organisée sur le territoire de la Métropole de Montpellier.
Sur le même ton, le député France Insoumise de la 4e circonscription Sébastien Rome, qui s’est fait le défenseur de la bouvine lors du débat mort-né sur la corrida, a lui sorti la sulfateuse. « La bêtise n’est jamais éloignée de l’ignorance », assène-t-il en pointant dans le même sens : « L’attaque en règle des élus de la majorité municipale de Montpellier contre la bouvine et de quelques opportunistes parisiens me met en colère. Cela ressemble fort à une manœuvre d’enfumage et un coup de com. Que font encore ces élus montpelliérains dans une majorité dont le maire est favorable à la corrida ? ». À croire que la saison de la chasse aux écolos montpelliérains est ouverte à la NUPES…
Suite à la tribune, les défenseurs de la bouvine ont rapidement annoncé une grande manifestation le samedi 11 février à Montpellier où sont attendus, selon les organisateurs, plus de 10 000 personnes et près de 1 000 cavaliers. À l’appel de l’Union Jeunes de Provence et du Languedoc pour la défense de nos traditions, collectif regroupant 38 associations et 3 000 adhérents dans l’ex Languedoc-Roussillon et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 70 personnalités** dont une cinquantaine de politiques ont apporté leur soutien et se sont engagés à participer à la manifestation. Élus du PS, de l’UDI, de Renaissance, des Républicains et du Rassemblement National seront ainsi côte à côte pour « la grande famille de la ruralité mobilisée pour défendre ses traditions face à la tribune d’élus écologistes et la fronde du Parti animaliste ».
Une unité derrière un intitulé précis à laquelle n’ont pas souhaité s’associer les élus locaux de la NUPES. S’ils soutiennent la bouvine et participeront sans doute à la manifestation, ils entendent ne pas voir leur nom associé à des élus, ou proches, du Rassemblement National comme Emmanuelle et Robert Ménard, France Jamet, Yoann Gillet ou encore Julien Sanchez. Une position en retrait qui leur permet par un coup de billard de cibler Michaël Delafosse.
Le président de la Métropole, faisant partie de la liste des soutiens et participants à la manifestation, la député de la 2e circonscription de l’Hérault Nathalie Oziol l’interpelle sur les réseaux sociaux : « Nous savons votre intransigeance avec l’extrême-droite et ne doutons pas qu’il s’agit d’une erreur ».
Dans la foulée, les trois élues du groupe MUPES (ndlr : le M pour Montpellier remplaçant le N de Nouvelle) du conseil municipal appliquaient une deuxième couche. « Nous condamnons avec la plus grande fermeté l’attitude du Maire-dissident de Montpellier, Michael Delafosse, qui a signé un appel aux côtés des plus importants cadres d’extrême droite du sud de la France », résume Alenka Doulain, Clothilde Ollier et Flora Labourier qui jugent que « M. Delafosse poursuit sa trajectoire vallsiste, après une élection législative durant laquelle, avec ses camarades du PS34, il a œuvré contre les candidats de la NUPES en faisant élire des députés réactionnaires dans toute la région » et d’asséner un dernier coup : « Une co-signature encore plus insupportable quand le principal intéressé s’illustre constamment par des postures moralisatrices et une politique antisociale, en contradiction totale avec la gauche dont il se réclame ».
Une conclusion sévère et intransigeante épargnant les autres membres de la liste ainsi que les organisateurs de la manifestation qui eux n’ont pas été regardant et ont néanmoins bien prévenu de toutes attaques qui pourraient « faire passer les amoureux de la bouvine et de la tauromachie pour des fachos d’extrême droite ». Pas sûr qu’ils apprécient aussi de servir de strapontin à toute stratégie politique ayant pour autre intention que de défendre leur cause.
« Je n’ai signé aucune tribune, j’ai simplement exprimé auprès de certains maires de la Métropole mon intention de principe pour participer à leurs côtés à un rassemblement autour de la promotion des traditions camarguaises. La bouvine notamment fait partie de notre histoire, de notre culture, a forgé nos paysages. Elle rassemble nos concitoyens de manière festive et conviviale » a réagi Michaël Delafosse en répliquant : « Je serai donc extrêmement vigilant quant à une récupération quelconque par des formations politiques que je combats. L’extrême droite ne peut s’approprier la défense de cette culture, ouverte et diverses depuis ses origines ». Le coup n’était pourtant pas venu de ce côté…
S’il doit esquiver les habituelles saillies de la NUPES, il doit également s’employer à apaiser les tensions au sein de la métropole. Coralie Mantion défend depuis le début ne pas vouloir abolir la bouvine et veut poursuivre le travail sur le PLUI-Climat confortée par son président. À ce dernier de calmer la grogne des maires qui demandent le départ de l’élue verte. Quant au territoire, au-delà de la bouvine, toute la ruralité est pleinement décidée à se faire entendre face à des écologistes et des animalistes qui n’ont certainement pas gagné des voix dans ces secteurs.
« Il est important de rappeler que notre majorité à Montpellier est fondée sur la diversité des points de vue, sur la liberté des élus. Chacun peut s’exprimer et apporter son point de vue au débat. Sur la bouvine certains élus souhaitent une évolutions de certaines pratiques, pas sa disparition. C’est leur droit le plus absolu de l’exprimer. Je sais d’ailleurs que les manadiers n’ont pas attendu ce débat pour améliorer le suivi de leurs animaux. N’opposons pas les territoires sur ce sujet » plaide Michaël Delafosse pour apaiser les tensions. En mentionnant « face aux attaques du conseil municipal de Montpellier la ruralité se manifeste », pas sûr que l’affiche de la manifestation y participe…