Pézenas / Rapport : pourquoi le projet du quartier Saint-Christol a du plomb dans l’aile


Le coeur de ville de Pézenas
Le coeur de ville de Pézenas (©YouTube)

Dans un rapport de 95 pages, la chambre régionale des comptes -CRC- d’Occitanie analyse la gestion de la commune de Pézenas depuis 2015 et jusqu’en 2021. Tout n’est pas positif…Pézenas, qui compte 8 148 habitants, constitue la centralité urbaine de services et d’emplois du nord de la communauté d’agglomération Hérault Méditerranée (CAHM). « Alors que cette ville porte des charges de centralité (équipements et services situés sur son territoire) au profit des habitants des communes plus rurales qui l’entourent, sa population est orientée à la baisse depuis 2008 et se caractérise par une certaine fragilité sociale. Le financement de ces charges pèse sur le budget communal (marges de manœuvre limitées et autofinancement faible), mais aussi sur l’attractivité résidentielle de cette commune qui applique des taux d’imposition supérieurs à celles qui l’entourent », écrivent les magistrats financiers.

Fiabilité des comptes

L’examen de la fiabilité des comptes a mis en évidence une amélioration des procédures depuis le dernier contrôle, mais aussi la persistance d’un certain nombre de manquements, notamment en matière de pilotage des investissements et d’information du public auxquels la ville a mis un terme ou s’est engagée à le faire à la suite du présent contrôle. « La situation financière de la commune est contrainte en particulier par des charges financières et de personnel élevées, qui ont représenté en moyenne 63,7 % de ses charges courantes entre 2015 et 2020, tandis que les marges de manœuvre étaient limitées sur les recettes du fait de niveaux d’imposition élevés. Entre 2015 et 2020, l’autofinancement dégagé du cycle de fonctionnement n’a pas été suffisant pour couvrir les annuités en capital de la dette, la capacitéd’autofinancement (CAF) nette cumulée a donc été négative (- 148 033 €). Dans le même temps, la commune a réalisé 10,8 M€ de dépenses d’équipement, dont près de 50 % sur les deux derniers exercices. Rapportées au nombre d’habitants, elles sont restées inférieures d’un tiers à la moyenne de la strate : 1 027 € sur ces six exercices contre 1 513 €. Toutefois, en dépit du recours à des cessions d’immobilisations, le financement propre disponible de la commune n’a couvert que 33 % du montant de ces dépenses. Les subventions d’équipement perçues sont restées limitées, à 7 % des dépenses d’équipement. La commune a donc dû souscrire des emprunts de 8,848 M€. Toutefois, cet accroissement du poids de la dette réduit la CAF nette et nécessitera de recourir à de nouveaux emprunts pour financer les investissements à venir en l’absence d’autres ressources suffisamment conséquentes », poursuit la CRC dans son rapport public.

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Crise sanitaire 

Autre constat : « Si, en 2020, la commune a su faire face à la crise sanitaire sans compromettre sa situation, les contraintes qui pèsent sur son budget nécessitent de renforcer son autofinancement. Elle devrait s’engager dans une démarche de rationalisation de ses dépenses et recettes de fonctionnement. L’identification des charges de centralité financées par la ville devrait mettre en évidence des marges de manœuvre supplémentaires. La commune devrait, sur cette base, proposer le transfert à la CAHM de l’entretien et de la gestion d’équipements culturels et sportifs de rayonnement supra- communal. Enfin, la ville devrait rester attentive à une éventuelle dégradation de ses conditions d’endettement dans un contexte financier encore incertain, et s’attacher à élargir les sources de financement de ses dépenses d’équipement (cessions, subventions, etc.) afin de dégager de nouvelles marges de manœuvre permettant de réduire sa dépendance aux emprunts ».

Politiques d’attractivité

L’examen des politiques d’attractivité mises en œuvre par la ville de Pézenas, tant en matière culturelle que de soutien aux métiers d’art, met en évidence des insuffisances dans la gestion communale, mais aussi la nécessité de respecter les transferts de compétences effectués vers la CAHM et de faire participer cette dernière au financement d’équipements d’intérêt supra-communal. La ville ne dispose pas de comptes rendus d’activité réguliers de son théâtre et de son cinéma et ne semble pas réaliser de contrôles approfondis sur le coût et la gestion de ces établissements.

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Diversifier les recettes

L’examen des budgets annexes qui leur sont dédiés montre que les déficits structurels engendrés par leur fonctionnement sont financés presque exclusivement par la commune. Jusqu’en 2020, la fréquentation de ces établissements était orientée à la hausse et, au cours de cet exercice, la ville a su limiter les effets induits sur son budget par la crise sanitaire. Toutefois, au regard des marges de manœuvre limitées des finances communales et de la faiblesse de sa CAF, la ville devrait mieux maîtriser les charges de ces établissements et diversifier leurs recettes, afin de réduire ses contributions.

178 000€ à une association

Par ailleurs, entre 2015 et 2019, elle a versé 178 000 € à l’association « Mirondela dels Arts » qui organise un festival d’été, auxquels s’ajoutent de nombreux soutiens en nature : mise à disposition d’un agent municipal pour les expositions, d’un local, des théâtres, de lieux d’exposition, de matériel, photocopies, etc. Cependant, la convention ne contient aucune définition des actions menées par l’association et pourrait être regardée comme sans objet. De plus, jusqu’en 2021, cette association assurait l’essentiel de l’animation culturelle estivale de Pézenas et bénéficiait ainsi d’une quasi délégation de fait. Enfin, la ville n’a pas été en mesure de rendre compte des contrôles opérés sur cette association. Si la nouvelle municipalité a réduit ces financements et mis fin à la délégation de fait, la chambre invite la commune à bien structurer ses relations avec cette association, à évaluer précisément l’ensemble des concours qui lui sont apportés, tant financiers qu’en nature, et à mettre en œuvre les contrôles prévus sur ses réalisations, notamment à travers le compte rendu financier mentionné par l’article 10 de la loi du 12 avril 2000.

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Location d’échoppes

La commune soutient également la présence d’artisans d’art par la location d’échoppes. L’attractivité commerciale de son centre historique témoigne du succès de cette action. « Toutefois, cette compétence a été transférée à la CAHM et ne devrait plus, en application du principe de spécialité, faire l’objet d’interventions communales. De plus, les critères de sélection des artisans n’ont pas été formalisés, les réunions de la commission n’ont pas fait l’objet de procès-verbaux et le conseil municipal n’est pas informé par des comptes rendus périodiques sur la mise en œuvre de cette politique. Pour assurer la pleine transparence sur le respect de l’égalité des candidats, les critères de sélection devraient être formellement établis et une traçabilité de leur mise en œuvre assurée. De plus, les modalités de fixation des loyers devraient être révisées régulièrement en fonction de l’état des locaux et de la capacité financière des artisans, en particulier de ceux qui exercent déjà leur activité depuis de nombreuses années dans la ville. La participation d’un représentant des artisans piscénois au comité de sélection n’est pas accompagnée de mesures de nature à écarter tout risque de conflit d’intérêts. Le recours à des conventions d’occupation précaire pour ces boutiques n’est pas conforme aux conditions prévues par la loi et pourrait faire l’objet d’une requalification en baux commerciaux de droit commun, régime qui devrait désormais être appliqué pour tous les artisans qui sont locataires depuis plus de trois ans. Par ailleurs, la commune ne dispose pas d’outil lui permettant d’apprécier le coût de cette politique, à travers la charge d’amortissement des locaux, l’état de l’actif comportant des lacunes et des doublons », relèvent les magistrats de la CRC.

Des sous-locations

Entre 2019 et 2021, la ville a loué trois locaux commerciaux à un propriétaire privé qu’elle a ensuite sous-loués à des commerçants en leur faisant bénéficier de réductions de loyer dont le montant total peut être estimé à 21 000 € pour 2019 et 2020, auxquels s’ajoutent les taxes et autres charges de gestion payées par la commune mais dont le montant n’a pas été individualisé dans sa comptabilité. Le maire n’a rendu compte au conseil municipal ni de ces décisions ni des critères qui ont conduit à sélectionner les trois bénéficiaires ni des modalités de détermination des loyers réduits. Ces mesures soulèvent également des interrogations au regard du droit de la concurrence car elles constituaient un avantage économique pour ces trois commerçants par rapport à ceux qui exerçaient les mêmes activités dans la ville (disquaire, libraire et photographe).

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Aménagement du quartier Saint-Christol

Le contrôle a également porté sur une importante opération d’aménagement. Afin d’ouvrir un nouveau quartier à l’urbanisation dans le quartier Saint-Christol, la commune a lancé en février 2019 un avis de mise en concurrence en vue de constituer avec un partenaire privé une société d’économie mixte à opération unique (SEMOP) à qui serait confiée une concession d’aménagement. « Cette procédure n’a pas été effectuée dans des conditions favorables à l’expression de la concurrence car le projet d’aménagement de la commune était lourdement déficitaire (entre 9 et 11 M€), alors que le règlement de consultation interdisait aux candidats de le modifier. De plus, en dépit de cette interdiction, la ville a retenu une candidature qui amendait substantiellement ce programme, de manière à le rendre bénéficiaire de 2,7 M€, tandis que la société concurrente, qui n’avait pas modifié le projet, était écartée. L’avis obligatoire sur les offres de la commission prévue par l’article R. 300-9 du code de l’urbanisme n’a pas été adopté. Aucun document n’a été établi pour assurer la traçabilité de la négociation. La délibération qui désigne la candidature retenue se fonde sur une analyse des offres sommaire, qui ne justifie pas le choix opéré. La commune, qui est de petite taille, disposait de moyens limités pour traiter en profondeur les multiples questions techniques soulevées par ce projet et défendre au mieux ses intérêts alors même que, en application d’une convention opérationnelle conclue avec l’établissement public foncier (EFF) Languedoc- Roussillon en 2011, elle devait payer à ce dernier la somme de 4,992 M€ en 2019 au titre de terrains acquis pour le réaliser et souhaitait faire porter cette charge par l’aménageur.

La constitution de la SEMOP avec le partenaire privé retenu, la CIM, n’offre pas à la commune la position déterminante qui avait été annoncée en conseil municipal. Si le maire préside le conseil d’administration, la ville reste minoritaire dans les instances de la société. Le droit de blocage qui lui est accordé sur quelques points apparait, dans les faits, limité. Le pouvoir de contrôle confié à deux agents de la commune a été repositionné en 2020 dans le cadre d’un « comité du contrôle » présidé par un représentant de la CIM. Ce comité a toutefois été supprimé à la suite de l’envoi par la chambre de ses observations provisoires. Le contrat de concession signé le 3 décembre 2019 offre à la ville des moyens de contrôle complémentaires. Il importe qu’elle s’en saisisse pleinement pour maîtriser l’opération, mais aussi pour assurer l’information de son conseil municipal prévue par la loi. La signature d’un contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage entre la SEMOP et la CIM, qui confie à cette dernière la mise en œuvre de la concession d’aménagement, risque également de limiter les capacités de contrôle de la commune. Par ailleurs, la situation des sociétés associées à l’offre de la CIM, qui constituent en réalité des sous-traitants, doit être régularisée par la ville », observe la CRC, qui assure que, « de nombreuses incertitudes pèsent encore sur ce projet. La question foncière n’a pas été entièrement réglée. La crise sanitaire a retardé à mai 2021 la révision du plan local d’urbanisme, qui était nécessaire, ainsi que l’avancée de la programmation de l’opération. Alors que les travaux
1 Ce montant inclut les frais d’agence payés par la commune devaient commencer en 2021, à la fin du premier semestre, les demandes d’autorisations au titre du code de l’urbanisme et du code de l’environnement n’avaient pas encore été déposées et le choix de la procédure (un permis d’aménager plutôt qu’une zone d’aménagement concerté) était débattu ». Au regard des risques financiers et juridiques de ce projet pour la commune, de sa technicité mais aussi des asymétries d’information, la CRC alerte la nouvelle équipe municipale piscénoise pour qu’elle se dote d’un niveau d’expertise, interne ou externe, suffisant pour assurer le contrôle de la mise en œuvre de cette opération.

> A LIRE : le rapport intégral de la CRC https://www.ccomptes.fr/fr/publications/commune-de-pezenas-herault-2

Le 27/05/2022 à 17:15, par Jean-Marc Aubert.