Interview de la semaine : Pierre-Luc Poujol, artiste par nature

Interview de la semaine : Pierre-Luc Poujol, artiste par nature


Pierre-Luc Poujol
Pierre-Luc Poujoln un artiste en quête de lumière dans ses oeuvres (©Mario Sinistaj)

Peintre-sculpteur, Pierre-Luc Poujol explore des territoires que d’autres ont parcouru avant lui pour mieux en repousser les frontières. Dans sa quête de lumière, accomplie par projection à l’instar de ses illustres pairs de l’abstraction lyrique américaine, l’artiste trace pour autant sa propre voie par une approche physique et organique de son travail. Un pied à Montpellier, l’autre à Miami, Pierre-Luc Poujol réinterprète les couleurs de la nature, dont il s’inspire, à la recherche d’émotions à transmettre. Ce qu’il réussit à merveille. Interview.

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Métropolitain : quel est votre parcours ?

Pierre-Luc Poujol : Je peins et dessine depuis que je suis tout petit. J’ai fait un parcours scolaire classique. Je voulais faire une 3e artistique, mais, le professeur de dessin du collège a dissuadé mon père à cause du manque de débouché. Donc on m’a dit passe ton bac et tu verras après. Je ne voulais pas faire un bac classique mais un bac agricole car mon grand-père était paysan. C’était un paysan un peu à part qui jouait de la trompette dans ses vignes, pour qui j’avais une grande admiration. J’ai donc passé mon bac en Lozère avant de rentrer en école artistique. Et là, merveilleuse catastrophe, je suis devenu papa à 21 ans; donc il a fallu que j’interrompe mes études d’art pour nourrir ma petite famille. La pub m’a alors permis de garder un pied dans la création. Il n’y avait pas encore de PAO, donc on faisait tout à la main ce qui me permettait de conjuguer le côté artistique et le côté financier. Je suis rentré comme graphiste puis je suis devenu directeur artistique, directeur de création et, quand je suis devenu suffisamment mûr, j’ai décidé de monter mon agence. Ayant une clause de non concurrence à Paris et avec des racines sudistes montpelliéraines, j’ai créé ma propre agence à Montpellier, puis une deuxième à La Rochelle, une troisième à Paris, etc.

Comment êtes-vous alors revenu pleinement à la peinture ?

Je ne l’ai jamais vraiment quitté. Après plusieurs années à m’investir dans mon agence, j’ai voulu revenir à ce que j’ai toujours aimé faire : la peinture. Je ne l’avais jamais lâché, j’ai toujours peint, mais je ne voulais pas mixer les deux à savoir conserver un pied dans le business et m’autoriser à peindre en espérant que cela marche. Donc j’ai tout arrêté, j’ai tout vendu et je me suis mis en danger. Je peignais pour moi mais je ne savais pas si j’étais capable d’en vivre. Rapidement, les choses se sont bien passées. J’ai été repéré par une galerie parisienne lors de mon premier salon d’art, le GMAP (Grand marché d’art contemporain) à Bastille. Il n’existe plus et c’est dommage. C’est un salon qui mettait en contact directement les artistes, les galeristes et les collectionneurs. Les choses se sont ensuite enchaînées.

Si on doit parler de style, c’est cette voie là que j’ai décidé d’emprunter qui est une peinture physique, un engagement, parfois un combat, en défrichant et découvrant de nouveaux territoires.

Pierre-Luc PoujolArtiste-peintre

Comment avez-vous choisi votre style ? C’est peut-être lui qui vous a choisi d’ailleurs.

Ni l’un, ni l’autre. Je n’ai rien choisi. En fait, je vis la peinture comme une expérience avec l’idée de créer ma propre voie. Ce qui est très compliqué aujourd’hui en peinture car on a l’impression que tout a été dit et fait. Je prends donc ça comme quelque chose d’expérimental et c’est pour cela que j’ai essayé de travailler sans toucher le support, avec énergie. Bien sûr d’autres l’ont fait avant moi comme Jackson Pollock alors j’ai voulu y ajouter quelque chose de supplémentaire en essayant d’y donner du sens. Ce qui m’intéresse c’est d’être sur la crête entre l’abstraction et la figuration. Le style s’impose au fur et à mesure. D’autant que je suis aussi spectateur de mon travail. Il y a un vrai dialogue entre la toile et moi dans le sens où la peinture fait aussi son chemin sans mon intervention. Une fois que je lâche la couleur, cela met plusieurs heures à sécher. Le premier geste que je fais le matin, c’est d’aller à l’atelier pour voir comment cela a bougé, car il y a ce côté organique de la peinture qui travaille en même temps que moi et même quand je ne suis pas là. Des fois, j’ai des bonnes surprises, des fois, des mauvaises. Si on doit parler de style, c’est cette voie là que j’ai décidé d’emprunter qui est une peinture physique, un engagement, parfois un combat, en défrichant et découvrant de nouveaux territoires.

Vous avez parlé de sens. Comment arrive-t-on à donner du sens à une toile quand on fait quelque chose avec une grande part d’aléatoire comme la projection ?

On y donne du sens par sa représentativité. Je ne jette pas mes couleurs au hasard. Dans la volonté de donner du sens, la direction de mes projections vont figurer un tronc, le feuillage, l’écorce… J’essaye d’organiser ma gestuelle et mon choix de couleurs en fonction de cette représentativité et sans la délivrer cash. Quand on regarde certaines de mes œuvres, à un mètre on est totalement dans l’abstraction et en prenant du recul, on voit un arbre, et encore un peu plus une forêt. Cette découverte s’opère en fonction de la distance avec le support.

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Pierre-Luc Poujol
Pierre-Luc Poujol (@Mario Sinistaj)

En fonction de ces immersions différentes, quel regard souhaitez-vous que le spectateur ait sur vos œuvres ?

Plus qu’un regard, c’est une émotion que je cherche. Je n’intellectualise pas la peinture. C’est d’abord quelque chose de rétinien. C’est une émotion, on aime ou on n’aime pas. Après, si on a envie de donner des explications, on en donne… J’aime bien la phrase de Pierre Soulages : « Les messages, c’est pour les prophètes et les facteurs ». Je suis peintre, je présente, je ne représente pas. Au public d’avoir ou pas une émotion. C’est ça qui m’intéresse.

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Vous êtes basé à Montpellier et Miami. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Déjà cela m’a ouvert le marché américain et en terme de créativité, Miami est une bulle de lumière. Cette langue de terre entre l’océan et le golfe du Mexique est une source d’inspiration avec tous les nuages qui se créent dans le ciel et le soleil qui explose sur Miami… Il y a des ciels fabuleux et une grande richesse de couleurs. On passe d’un ciel argenté noir d’orage et un quart d’heure après à un ciel bleu outre-mer, le soir un rose fushia… Il y a une quête de lumière dans mon travail que l’on voit dans mes œuvres. Et tous

mes pairs artistiques sont des artistes américains : Sam Francis, Jackson Pollock, Mark Rothko, Joan Mitchell… C’est l’abstraction lyrique américaine et je m’inscris dans ce courant.

Vous avez présenté deux expositions dans la région. Tout d’abord Résonances dans l’église Saint-Jean-Baptiste à Castelnau-le-Lez en juin 2021.

Importante et expérimentale, car c’était la première fois que la Ville de Castelnau-le-Lez exposait un artiste dans cette très jolie église qui se trouve sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, avec des vitraux de François Rouan. La Ville a vu une cohérence avec mon travail d’abstraction et m’a proposé d’exposer dans ce lieu. Je ne l’avais jamais fait, le challenge était intéressant, j’ai donc dit oui. Et il y a eu une vraie résonance entre mon travail et les vitraux, si bien qu’ils ont gardé certaines œuvres après l’exposition dont une reproduite sur mesure pour la tribune de l’église sur du plexiglas pour laisser passer la lumière. Désormais, elle fait partie intégrante de l’église. C’était une belle expérience.

La deuxième exposition c’est Voyage à Giverny présentée en 2020 au musée Paul Valéry à Sète.

Déjà, j’adore ce musée. Pour moi, c’est l’un des plus beaux musées de France. Je ne dirais pas du monde car je ne les ai pas tous fait mais j’adore cet endroit qui donne sur la mer. En maître de la lumière, je citais les américains, mais il y a quand même Claude Monet. Cela m’intéressait d’aller voir où il vivait et où pendant 40 ans il a pioché son inspiration. J’y suis allé et j’ai pris une claque. Je suis revenu à mon atelier et je me suis mis à travailler de manière exclusive à réinterpréter ce que j’avais vu avec toujours la technique des projections. Un jour, la conservatrice en chef du musée Paul Valéry, est venue visiter mon atelier, a adoré mon travail et a souhaité organiser cette exposition que l’on a baptisé Voyage à Giverny. Il y avait une belle résonance aussi entre le lieu et l’exposition. Mon travail était exposé et à l’extérieur, dans un bassin, il y avait des nymphéas.

Que représente votre atelier ?

C’est à la fois mon laboratoire où j’expérimente et ma source d’inspiration dans la mesure où il est ouvert sur la forêt, presque en immersion. C’est un lieu qui me nourrit et c’est un lieu de vie. J’aime y travailler la nuit pour mieux trouver la lumière dans mes peintures. Entouré de ténèbres, tu es plus en quête de lumière. C’est aussi un lieu de protection.

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Pierre-Luc Poujol
Pierre-Luc Poujol (©Mario Sinistaj)

Il y a une différence d’engagement entre vos peintures et vos sculptures ?

La sculpture était à la base plus récréative dans le sens où j’avais un engagement encore plus physique, que dans la peinture. Je sculpte principalement le bois. J’ai un projet de sculptures, baptisé Spine comme la colonne vertébrale, construites à partir de poutres venant de mon ancien atelier. Sur une tige, 24 vertèbres relient la terre au ciel sur lequel il y a de la couleur, de la projection, de la brûlure… J’ai une relation, on va dire, charnelle avec la sculpture tout en restant dans mon univers.

Je travaille sur une exposition multi-sensorielle où je réunirai le pictural et l’olfactif. Je parlais d’émotion, l’idée est justement d’apporter cette émotion supplémentaire dans la mesure où le sens olfactif est le plus ancré dans notre mémoire.

Pierre-Luc PoujolArtiste-peintre

Pour mettre en valeur l’art contemporain à Montpellier, Philippe Saurel a lancé le MoCo, un musée sans collection. Que pensez-vous du concept ?

C’est très bien. Je suis ouvert sur toutes les expériences dans les musées. Il faut innover, sortir du côté traditionnel et ne pas se contenter de juste accrocher des œuvres. On parlait de la différence entre le public américain et français, aux États-Unis, il y a cette prise de risque que l’on a moins en France. Cela commence à bouger, mais il faut sortir du cadre institutionnel un peu poussiéreux donc toutes les expériences sont bonnes à prendre.

Quelle est votre actualité ?

Je travaille en ce moment sur une nouvelle série de peintures baptisée « The Forest Call » autour des thématiques de l’arbre, de l’écorce et de la forêt…. J’ai quatre expositions en cours : au Luxembourg, à Marbella (Espagne) et deux à Paris. Une nouvelle galerie parisienne présentera d’ailleurs mon travail prochainement. L’objectif maintenant est d’aller présenter cette série aux États-Unis, ce qui a été compliqué avec la Covid-19. C’est l’actualité physique, car des projets je n’en manque pas.

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Est-ce que vous pouvez nous en dévoiler un ?

Je travaille sur une exposition multi-sensorielle où je réunirai le pictural et l’olfactif. Je parlais d’émotion, l’idée c’est justement d’apporter cette émotion supplémentaire dans la mesure où le sens olfactif est le plus ancré dans notre mémoire. La thématique sera les quatre saisons dans la forêt. Je voudrais travailler avec des nez pour construire ensemble la scénographie et les fragrances de feuilles mortes à l’automne, d’herbe fraiche en été, de lichen l’hiver… Il y aura aussi un travail sur le support car il y aura un propos total autour de cette exposition. J’ai d’ailleurs déposé un dossier de candidature auprès de la Région, afin d’être accueilli à la Villa Médicis pour me permettre justement de la préparer. L’idée est de m’extraire de mon atelier pour pouvoir partager avec d’autres artistes ma perception et me mettre en phase d’expérimentation olfactive, travailler sur des pigments végétaux… C’est une bonne opportunité d’être focus sur ce projet et ne pas être dans la création quotidienne de ce que je fais dans mon atelier. Et la Villa Médicis est un lieu d’exception pour un artiste.

Le 04/05/2022 à 13:35, par Cédric Nithard.