Féria de Béziers : pourquoi le tribunal administratif autorise la manif partielle des anti-corridas ?


Manifestation des anti-corridas avec notamment le Colbac ce mercredi à Béziers (©Savoir Animal)

Le bras de fer entre la préfecture de l’Hérault, les organisateurs des corridas et les opposants s’est poursuivi en justice : l’association COLBAC -Comité de liaison biterrois anti-corrida- qui a déclaré le 2 août 2025 en préfecture l’organisation d’une manifestation prévue ce vendredi 15 août à Béziers, lors de la Féria, a saisi le tribunal administratif de Montpellier par le biais du référé-liberté, afin que cet arrêté soit suspendu.

Ce jeudi 14 août, le juge des référés relève que l’implication de l’association Comité de liaison biterrois anti-corrida dans les tensions observées en 2021 et 2024 n’a pas été démontrée et que les manifestations qu’elle a organisées par le passé n’ont pas généré de troubles importants à l’ordre public. Il indique également que l’arrêté du préfet de l’Hérault n’interdit pas totalement la manifestation, sur le trajet prévu, de 14 heures 45 à 17 heures. Concernant la poursuite du cortège après 17 heures, le juge estime que l’avenue Camille Saint-Saëns, principale voie de communication entre les arènes et le centre-ville et visée dans l’arrêté préfectoral, présente un risque de tension majoré, alors que les allées Paul Riquet, qui accueillent des activités festives qui ne sont pas liées aux activités de tauromachie, ne présentent pas le même risque.

Dès lors, le juge des référés a suspendu partiellement l’arrêté du préfet de l’Hérault. Cette suspension permet la manifestation de l’association COLBAC ce 15 août 2025 sur les allées Paul Riquet de 17 heures à 19 heures 15. Un jugement qui satisfait le COLBAC et son avocate, Me Hélène Thouy du barreau de Béziers.

Que dit le jugement intégral ?

Par une requête enregistrée le 13 août 2025, l’association Comité de Liaisons Biterrois Anti-Corrida (COLBAC), représentée par Me Hélène Thouy avocate, demande au juge des référés d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 11 août 2025 du sous-préfet de Béziers portant règlementation des manifestations et rassemblements statiques sur la voie publique à l’occasion de la Féria 2025 de Béziers, d’enjoindre au préfet de l’Hérault ou au sous-préfet de Béziers de laisser se dérouler la manifestation organisée par le COLBAC le vendredi 15 août 2025, conformément à la déclaration déposée, de mettre à la charge l’Etat une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Elle soutient que : S’agissant de la condition d’urgence, elle a déclaré le 2 août 2025 l’organisation d’une manifestation anti-corrida prévu le 15 août pendant la féria et s’est vu notifier l’arrêté litigieux qui l’interdit ; S’agissant de l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale : l’arrêté en litige porte une atteinte à la liberté de manifester; la décision relève d’un détournement de pouvoir en répondant à une demande du maire de Béziers mécontent de sa prise à partie lors d’une manifestation du 7 août dernier; que le principe de proportionnalité de la mesure entre l’interdiction édictée et les mesures nécessaires au maintien de l’ordre public n’est pas respecté car l’association a déjà organisé des manifestations semblables les années précédentes, passant notamment par les allées Paul Riquet et l’avenue Saint-Saëns, qui se sont déroulés dans le calme, elle n’est pas à l’origine des incidents en 2021 et 2024, par ailleurs non établis, indiqués dans l’arrêté, aucun désordre n’a été constaté lors de la manifestation du 7 août 2025, l’évènement devrait rassembler entre 100 et 130 personnes seulement, et reste éloigné de plus de 500 mètres des arènes.

Par un mémoire, enregistré le 14 août 2025, le préfet de l’Hérault conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que l’’interdiction concerne toutes les manifestations à sécuriser au milieu d’une foule venue d’abord faire la fête ; le nouvel arrêté a adapté le périmètre traditionnel pour tenir compte de l’évolution de la féria qui comporte en dehors des arènes de nombreuses activités festives, notamment sur les allées Paul Riquet ou sur le plateau des poètes, où des incidents ont déjà eu lieu en 2020, 2021 et 2024 ; une nouvelle perturbation a d’ailleurs eu lieu ce 13 août 2025 ; le détournement de pouvoir n’est pas établi alors que l’arrêté n’interdit pas une large partie du déroulement prévu par l’association Colbac ; le projet prévoit toutefois deux convois qui remettent en cause les consignes de circulation du plan Vigipirate et mobilise plus de forces de sécurité, que l’arrêté respecte une stricte proportionnalité eu égard aux moyens de police mobilisés pour sécuriser alors qu’une unité de force mobile a été annulée.

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Vu les autres pièces du dossier. Vu le code de la sécurité intérieure, – le code de justice administrative, le président du tribunal a désigné M. Gayrard, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé. Ont été entendus au cours de l’audience publique du 14 août 2025, à 11 heures, le rapport de M. Gayrard, les observations de Me A, représentant l’association requérante et les observations de Mme X, représentant le préfet de l’Hérault. La clôture de l’instruction a été fixée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. L’association Comité de liaisons biterrois anti-corrida (COLBAC) a déposé le 2 août 2025 une déclaration de manifestation prévue le vendredi 15 août de 14h45 à 19h30 pour « l’abolition des corridas et pour dénoncer la cruauté des corridas organisés pendant la féria de Béziers ». Par arrêté du 11 août 2025 portant réglementation des manifestations ou rassemblements statiques sur la voie publique à l’occasion de la féria 2025 de Béziers, le préfet de l’Hérault a interdit toute manifestation ou rassemblement revendicatif du 13 au 18 août 2025 de 17h à 3h, dans le périmètre indiqué sur un plan annexé. Par la présente requête, l’association COLBAC saisit le juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux fins de suspendre l’exécution de cet arrêté.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

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L’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure soumet à l’obligation de déclaration préalable « tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ». Il résulte des articles L. 211-4 et R. 211-1 de ce code qu’il appartient au représentant de l’Etat dans le département ou au préfet de police de Paris d’interdire par arrêté toute « manifestation projetée de nature à troubler l’ordre public ». Le respect de la liberté de manifestation et de la liberté d’expression, qui ont le caractère de libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être concilié avec l’exigence constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police, lorsqu’elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d’informations relatives à un ou des appels à manifester, d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l’interdiction de la manifestation, si une telle mesure présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, en tenant compte des moyens humains, matériels et juridiques dont elle dispose. Une mesure d’interdiction, qui ne peut être prise qu’en dernier recours, peut être motivée par le risque de troubles matériels à l’ordre public, en particulier de violences contre les personnes et de dégradations des biens, et par la nécessité de prévenir la commission suffisamment certaine et imminente d’infractions pénales susceptibles de mettre en cause la sauvegarde de l’ordre public même en l’absence de troubles matériels.

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D’une part, en interdisant toute manifestation ou rassemblement revendicatif du 13 au 18 août 2025, pendant la féria 2025 de Béziers, de 17h à 3h, dans un périmètre autour des arènes et comprenant notamment les allées Paul Riquet et l’avenue Camille Saint-Saëns, et en visant dans un considérant les manifestations anti-corridas, l’arrêté compromet au moins partiellement l’organisation par l’association COLBAC d’une manifestation anti-corrida le vendredi 15 août 2025, de 14h45 à 19h30, empruntant notamment en fin de journée les deux artères précités. Dans ces conditions, la condition d’urgence particulière exigée par les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

Et d’autre part, pour justifier de l’interdiction mentionnée au point précédent, le préfet de l’Hérault, rappelant que la féria de Béziers attire un public nombreux estimé à près de 250 000 personnes concentrées dans le centre-ville, fait état de l’interpellation en 2020 d’activistes anti- corrida munis de casques, gants, pétards, fumigènes et couteaux et d’échanges de coups et de vives tensions entre les partisans et les opposants à la corrida en 2021 et 2024, sans toutefois apporter de preuves en ce sens ou établissant l’implication de l’association requérante qui soutient, sans susciter de contestation sérieuse, qu’elle a déjà organisé des manifestations similaires pendant la féria de Béziers de 2020 à 2024 qui ont été autorisées et n’ont connu aucun désordre notable. Si l’arrêté souligne également que lors d’une manifestation du 7 août dernier organisée par l’association requérante, des manifestants ont pris à partie le maire de Béziers devant son domicile, il n’est pas établi que de tels faits, pour regrettables qu’ils soient, aient suscité des troubles à l’ordre public. Si le préfet de l’Hérault évoque également la forte mobilisation des forces de police en raison de la féria et l’annulation de dernière minute d’une unité de force mobile, il ne justifie pas que celles-ci ne pourraient pas assurer la sécurisation autour du cortège de la manifestation prévue par l’association requérante qui table sur une centaine de participants.

Toutefois, l’arrêté attaqué ne se borne pas à interdire la seule manifestation organisée par l’association requérante mais toute manifestation revendicative, en lien ou non avec la féria de Béziers, comme une manifestation propalestinienne non déclarée qui s’est tenue lors de l’édition 2024. Au vu de la déclaration de manifestation déposée le 2 aout 2025, l’association requérante peut toujours librement manifester sur le trajet prévu de 14h45 à 17h et ne subit l’interdiction qu’après cette heure et pour la seule circulation sur les allées Paul Riquet et l’avenue Camille Saint-Saëns. Ainsi, le préfet de l’Hérault est fondé à maintenir le périmètre de sécurité autour des arènes déjà arrêté les années précédentes et, au demeurant, respecté par la requérante, afin de prévenir tout trouble à l’ordre public en raison de manifestations dans un secteur très fréquenté, notamment en cas de contacts directs entre pro et anti corrida. Par ailleurs, l’avenue Camille Saint Saêns étant la principale voie de communication entre les arènes et le centre-ville, et où la circulation piétonne est particulièrement dense en fin de journée, les corridas commençant vers 18 heures, les risques de tensions entre pro et anti corrida sont majorés et justifient l’interdiction d’y manifester à partir de 17 heures. En revanche, il n’apparait pas que l’accès aux allées Paul Riquet, qui accueille des activités festives non directement liées au monde de la tauromachie, présente des risques avérés de troubles à l’ordre public.

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Il résulte de ce qui précède, qu’en décidant l’interdiction de toute manifestation ou rassemblement revendicatif du 13 au 18 août 2025, pendant la féria 2025 de Béziers, de 17h à 3h, dans le périmètre déterminé en annexe, le préfet de l’Hérault a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et à la liberté d’expression qui constituent des libertés fondamentales seulement en tant qu’elle concerne le passage ou la présence d’une manifestation sur les allées Paul Riquet entre 17 et 19 heures ce vendredi 15 août 2025. Dans cette mesure, l’association COLBAC est fondée à demander la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet de l’Hérault litigieux. Les organisateurs de la manifestation devront néanmoins être vigilants à encadrer au mieux les participants lors de leur passage sur les allées Paul Riquet jusqu’à l’heure de dispersion qui pourra utilement être plus précoce que celle indiquée dans sa déclaration en préfecture.

Le juge ordonne : article 1er : L’exécution de l’arrêté du 11 août 2025 du sous-préfet de Béziers portant règlementation des manifestations et rassemblements statiques sur la voie publique à l’occasion de la Féria 2025 de Béziers est suspendue seulement en tant qu’il interdit la présence ou le passage d’une manifestation sur les allées Paul Riquet entre 17 et 19 heures le 15 août 2025. Article 2 : Le surplus de la requête est rejeté.

14/08/2025 à 17:30 par Jean-Marc Aubert